Les pierres réfractaires du foyer ont diffusé leur chaleur toute la nuit, plongeant la cabane dans un bain tiède à 16°C. Bien plus qu’il n’en faut dans ces conditions. Trop chaud ! Anton s’équipe de son attirail pour aller shooter dans les rochers, piolet, crampons et corde dans le sac. Moi, coiffé de mon bonnet et armé de petit Olympus hybride, miniature en comparaison du 300 mm de mon compagnon. La cabane se tient au bord d’un petit lac bordé de pins clairsemés. C’est sur ce lac que donne l’unique fenêtre à la forme de vitrail. Nous nous élançons sur la surface du lac blanchie par la neige mais donc une épaisse pellicule d’une dizaine de centimètres se délite sous nos pieds dans une apparence de soupe que boivent gorgée par gorgée mes chaussures au nubuck cuirassé souffrant. Les pieds plongent dans la mélasse. Depuis l’autre rive, on accède au lac Ladoga, immense surface morcelée de glace brisée. C’est la plus grande étendu d’eau d’Europe, seconde en Russie après le majestueux Baïkal, qui étend ses tentacules et abrite d’innombrables ilots sur plus de 465 kilomètres carrés. Des glaçons géants offrent pour des assoiffés infatigables, une invitation à célébrer la nature en grande pompe. Si on était dans le sud ouest de la France, j’y ferrai bien une justification à remplir et lever nos verres immenses de Ricard ou de Pastis. Mais les russes n’usent pas de glace pour lever le coude, et réchauffer le gosier de vodka. La berge est découpée par des rochers escarpés, tantôt praticables, tantôt barrés par des cascades de glace ou des failles abruptes. Sur un promontoire, tel un lynx dont je poursuis les empreintes fraiches laissés dans la neige, et qui surveille son territoire, je contemple la féérie qui repousse la ligne d’horizon toujours plus loin. Immensité. Démesure. Solennité. Il aura fallu se gagner ce bout de terre perdue, paradis carélien protégé dans un écrin de forêt. Les images du Baïkal surgissent, et j’imagine ses eaux prisonnières d’une épaisse couche translucide de glace, qui tente, dans le redoux des dernières journées d’hiver, de se libérer de ses chaines dans le fracas des brisures de glace.
Organisation de voyages-photos sur le lac Baikal